Une faillite financière de dimension historique, par Robert Peston

Publié le par evergreenstate

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Une faillite financière de dimension historique, par Robert Peston

epuis des années, la faible progression des salaires a été compensée dans le modèle anglo-saxon par un endettement des ménages, suppléant au manque de revenus. A cette réalité, la montée des pays émergents et la facture énergétique ont ajouté une autre dimension : l’accumulation par les exportateurs de surplus libellés le plus souvent en dollars, et réinvestis sur les places financières anglo-saxonnes. Cet afflux de capitaux a permis pendant un temps de repousser les échéances, en accumulant les dettes au-delà de toute raison, grâce à l’ingéniosité et au manque de scrupules de financiers qui trouvaient là une source de revenus en apparence intarissable. Jusqu’au moment où la prise de conscience, à l’occasion de la crise des subprimes, de l’énormité de cette bulle de papier, a conduit à une conclusion inévitable : elle ne sera pas payée. Aujourd’hui, les dégâts sont énormes, à la taille de la place prise par la sphère financière dans l’économie. La liquidation ou la restructuration de la partie irrécouvrable de cette dette prendra des mois si ce n’est des années et d’ici là, en l’absence de l’apurement des comptes, aucune véritable reprise ne peut avoir lieu. Mais ce n’est pas la seule difficulté à venir. Car les pays émergents ne laisseront pas partir en fumée les crédits accordés sans réagir. Et la Chine vient de le rappeler fermement à Paulson. Robert Peston, journaliste économique à la BBC, donne son analyse la situation - plutôt sombre - du Royaume Uni.

Par Robert Peston, The Times, 9 décembre 2008 - (extrait)

Voici quelques chiffres qui nous disent ce qui a mal tourné. Si on additionne la dette des consommateurs, des entreprises et la dette publique, le pourcentage que représentent ces emprunts par rapport à notre production économique annuelle (PIB) est supérieur à 300%, soit plus de 4,000 milliards de livres. Durant la dernière décennie, nous avons emprunté, emprunté, et encore emprunté. Nous avons cru que le jour où nous devrions rembourser n’arriverait jamais.

L’un des meilleurs indices permettant de se représenter cette accumulation d’emprunts est celui de la dette extérieure brute des banques anglaises. Elle est passée de 1 100 milliards de livres en 1997 à 4 400 milliards cette année - là encore, environ trois fois la valeur de notre production économique annuelle.

Ces chiffres indiquent deux choses. Ils montrent l’énorme et insoutenable croissance qu’ont connu la City et l’activité financière. Aujourd’hui, la City subit une cure d’amaigrissement et se venge par des pertes massives d’emplois et la diminution des recettes fiscales ( il s’agit peut-être de 30 ou 40 milliards de livres de revenus pour l’Etat qui vont disparaître à jamais). Mais ils montrent également que ces dettes représentent dans une large mesure un recyclage de l’épargne en provenance d’autres pays, notamment les énormes excédents de la Chine, des pays asiatiques et du Moyen-Orient.

Pour le dire crûment, durant la plus grande partie de la dernière décennie, des millions de Chinois asservis à un salaire permettant tout juste de survivre ont malgré tout réussi à épargner, à la fois en tant que nation (La Chine détient l’équivalent de 1,400 milliards de livres en réserves de change) et en tant qu’individus. Ce déséquilibre - entre l’épargne de l’Orient et notre endettement Occidental, entre leurs énormes excédents commerciaux et nos déficits - ne pouvait en aucun cas être soutenable.

A mon avis, l’évènement le plus important de la semaine dernière a été la réprimande adressée par Zhou Xiaochuan, le gouverneur de la banque centrale chinoise, à l’attention du secrétaire au Trésor américain, Hank Paulson. M. Zhou a déclaré que « la surconsommation et une grande dépendance à l’égard de crédit sont la cause de la crise financière des Etats-Unis » et que « les États-Unis devraient prendre l’initiative d’adapter leurs politiques, de relever leur taux d’épargne de façon appropriée et de réduire leurs déficits commercial et budgétaire ».

Il s’agit là d’une déclaration sans équivoque indiquant que les Chinois ne sont plus disposés à financer les dépenses des États-Unis et du Royaume-Uni : ils ne veulent pas prêter plus et ils veulent être sûrs que ce qu’ils ont déjà prêté ne va pas disparaître dans une nuée de dettes insolvables et d’inflation.

La grande question est donc de savoir combien de dettes nous devrons rembourser pour que notre économie retrouve une sorte de stabilité. Au cours de ces derniers mois, les contribuables britanniques ont accordé des prêts, des engagements, des garanties et des capitaux à nos banques pour plus de 600 milliards de livres. Et ce n’est probablement qu’un début.

Au cours des années de prospérité, nous avons créé deux bulles jumelles : celle des actifs et celle du crédit. Ces deux bulles ont éclaté. La chute des prix des actifs provoque des pertes pour ceux qui ont emprunté pour acheter ces biens (que ce soit les hedge funds ou les propriétaires). Maintenant qu’ils se battent pour honorer leurs dettes, ils doivent vendre d’autres actifs, entraînant la baisse de leurs prix, ce qui cause de nouvelles pertes pour d’autres emprunteurs. Lorsqu’ils ne parviennent pas à rembourser, ce sont les fonds propres des banques qui sont grignotés. Cette diminution de leurs fonds propres entraîne à son tour une diminution du crédit disponible, ce qui fait baisser encore les prix des actifs, et ainsi de suite, en un cercle vicieux à la baisse.

Il est donc irréaliste de s’attendre à voir cesser ce processus insidieux de contraction du crédit bancaire avant que le prix des biens immobiliers, des actions, des matières premières et des autres actifs n’aient cessé de baisser. Le prix des actifs devra trouver un plancher avant que l’activité financière puisse reprendre et que l’économie réelle puisse recevoir le financement nécessaire pour permettre un redémarrage.

Qui faut-il blâmer ? La réponse courte est : nous tous. Mais il est difficile de nier le fait que la plus grande faute incombe aux banques et aux banquiers - parce qu’ils ont systématiquement failli à faire ce pourquoi ils sont rémunérés : c’est à dire évaluer correctement les risques associés à tous ces prêts. Désormais, la survie de ces établissements dépend entièrement de l’engagement des gouvernements et des contribuables.


Publication originale The Times, traduction Contre Info

 


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