Lisier et engrais sont devenus les ennemis numéro un de la couche d'ozone

Publié le par evergreenstate

Lisier et engrais sont devenus les ennemis numéro un de la couche d'ozone LE MONDE | 31.08.09 | 16h10  
•  Mis à jour le 31.08.09 | 16h10
 

La traque minutieuse des gaz à effet de serre oblige parfois à s'intéresser aux replis les plus obscurs et improbables des systèmes de production. En peu de temps, flatulences et borborygmes bovins sont ainsi devenus des objets d'études aussi respectés que d'autres, en raison de leur importante contribution au changement climatique.

Dans la dernière édition de la revue Nature Geoscience, publiée en ligne dimanche 30 août, c'est sur le fumier qu'Eric Davidson, biogéochimiste au Woods Hole Research Center (Massachusetts), entend attirer l'attention des climatologues et des responsables politiques. Les effluents des exploitations agricoles ne sont en effet pas seulement responsables de dégradations visibles des écosystèmes, comme les proliférations d'algues vertes sur certains littoraux bretons. On leur doit aussi de discrètes émanations d'oxyde nitreux (N2O), gaz également connu sous le nom de protoxyde d'azote ou de gaz hilarant...

L'affaire ne prête pourtant nullement à rire. En effet, explique Eric Davidson, "après le dioxyde de carbone, le méthane et le chlorofluorocarbure-12, l'oxyde nitreux est le quatrième gaz à effet de serre anthropogénique le plus important".

Selon les calculs du biogéochimiste, la production animale est, par fumier interposé, responsable de l'émission annuelle de 2,8 millions de tonnes (Mt) de N2O. Dans le modèle de M. Davidson, le lisier est la première cause d'augmentation de la concentration atmosphérique de gaz hilarant, passé d'un niveau préindustriel de 270 parties par milliard (ppb) à 319 ppb en 2005.

Viennent ensuite les engrais de synthèse, qui seraient responsables de l'émission annuelle de 2,2 Mt de N2O : environ 2,5 % de l'azote (N) des fertilisants épandus seraient irrémédiablement convertis en N2O. Loin derrière ces deux causes majeures, l'industrie relâche 0,8 Mt par an et la combustion de biomasse seulement 0,5 Mt par an.

HABITUDES ALIMENTAIRES

Ces résultats suggèrent que l'agriculture, au sens large, est responsable de la plus grande part du N2O excédentaire stocké dans l'atmosphère depuis le début de l'ère industrielle. Et ce n'est pas fini. "Alors que la part des protéines animales dans les régimes alimentaires augmente globalement, la gestion du lisier sera une composante importante des efforts à venir pour réduire les émissions anthropiques d'oxyde nitreux", prévient Eric Davidson.

A la lumière de ces travaux, les changements des habitudes alimentaires en Chine ou en Inde auront un impact cardinal sur les émissions de N2O. Le développement des agrocarburants aussi. Des travaux publiés le 26 août dans la revue PLoS One indiquent ainsi qu'en 2030, "au moins 206 000 km2" de terres arables seront consacrées, au Etats-Unis, à des "cultures énergétiques", très gourmandes en engrais de synthèse.

La combustion des agrocarburants ainsi produits n'émettra aucun dioxyde de carbone (CO2) supplémentaire dans l'atmosphère, puisqu'elle ne relâchera que du carbone auparavant prélevé dans l'air, par photosynthèse. Elle suscitera cependant, de manière collatérale, d'importantes émissions de N2O. Il n'est pas sûr que climat y gagne au change : la question, difficile à trancher, est au centre d'âpres débats.

Ce n'est pas tout. Outre son effet sur le réchauffement, l'oxyde nitreux contribue aussi à détruire la couche d'ozone. Ses émissions ne sont pas réglementées par le Protocole de Montréal qui, entré en vigueur en 1992, a donné un coup d'arrêt à la fabrication des chlorofluorocarbures (CFC), alors principaux destructeurs de l'ozone stratosphérique.

Dans une courte démonstration, publiée le 27 août sur le site de la revue Science, trois chercheurs de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) préviennent que le N2O endosse désormais ce rôle. En plus d'être un acteur toujours plus important du changement climatique, il sera, tout au long du XXIe siècle, le principal frein à la résorption du trou de la couche d'ozone.

Stéphane Foucart
Article paru dans l'édition du 01.09.09.

Publié dans agriculture

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article