"Le stress au travail coûte 3 à 5 % du PIB"

Publié le par evergreenstate

"Le stress au travail coûte 3 à 5 % du PIB"
LEMONDE.FR | 16.06.09 | 12h37

aedes: Peut-on parler d'une " échelle du stress " dans le sens où un stress modéré peut être source d'efficacité mais est également, lorsqu'il devient trop important et incontrôlable, contre-productif, voire malsain ?

Pascale Levet :
La première chose qu'on peut dire, c'est qu'effectivement, pendant de nombreuses années, il y a eu une valorisation de ce qu'on appelle le "bon" stress. En particulier dans le cas du rôle et des comportements professionnels des cadres et des managers en général. Aujourd'hui, on se rend compte qu'on ne peut pas assimiler la capacité d'une organisation à stimuler l'énergie, l'implication d'un individu au travail à du bon stress. Le stress modéré ou très élevé intervient dans des situations dans lesquelles l'individu rencontre des difficultés à faire face aux paradoxes, aux contradictions, aux dilemmes dans lesquelles les situations de travail les placent.

lilou: Quels sont les lieux pour parler du stress dans l'entreprise ?


Pascale Levet : Il y a différents lieux selon la nature des échanges et des réponses sur lesquelles on doit travailler. Il y a bien sûr le CHSCT, mais il y a aussi le comité de direction, les équipes et les collectifs, qui peuvent être amenés à comprendre ce qui se joue dans leurs activités de travail et qui génère cette situation. Et puis il y a évidemment la conversation qu'on peut avoir avec le médecin du travail, avec un infirmier ou une assistante sociale. Donc de nombreux lieux et espaces de parole, mais aussi de travail, existent.

rémy: Comment dire à son patron que l'on est stressé ? Cela me paraît très difficile.


Pascale Levet : Effectivement, on observe que dans le cas du stress, il y a eu et il y a encore une sorte de déni ou de tabou. Avouer à son patron qu'on est stressé, c'est d'une certaine façon avouer qu'on est insuffisant ou incompétent. Ce qu'on commence à mieux comprendre aujourd'hui, c'est que le stress révèle davantage les difficultés d'une situation de travail que la personnalité d'un salarié, et que dire à son patron qu'on est stressé, c'est plutôt lui parler de ce qui ne marche pas dans sa situation de travail et qu'on pourrait éventuellement améliorer, donc les causes, plutôt qu'expliciter, sans revenir aux causes, les symptômes.
C'est plutôt sur les causes qu'il faut faire travailler son patron.

lilou: Comment favoriser les échanges d'informations entre la médecine du travail et la direction d'entreprise ou DRH sur les difficultés de certains salariés ?


Pascale Levet : Il y a plusieurs choses : lorsqu'il s'agit de cas de personnes relativement isolées, on a des dispostitifs classiques prévus dans le cadre général. En revanche, un médecin du travail qui s'intéresse à la question du stress comme une question relative à la santé des salariés, certes, mais aussi révélatrice et facteur de performance organisationnelle, est un médecin du travail qui se place en situation de pouvoir conduire un projet avec une direction d'entreprise en faveur des conditions de travail et de la lutte contre les risques psychosociaux, et le stress en particulier.

nils_1: Quel est l'état des lieux du stress au travail ? Est-il en hausse ? Certaines catégories sont-elles plus touchées ?

Pascale Levet : Pour pouvoir suivre le stress au travail, on a plusieurs sources d'information. Des grandes enquêtes internationales, des enquêtes épidémiologiques, qui suivent les populations sur la durée, etc., et aussi de très nombreux sondages, études. L'Anact a publié la semaine dernière un sondage sur le stress en France auprès d'une population de 1 000 salariés représentatifs. Effectivement, les statistiques, des études et des sondages indiquent l'augmentation du stress au travail. Cela coïncide sans doute avec des éléments de conjoncture, avec aussi l'impact des conditions de travail dans les organisations aujourd'hui, mais aussi, sans doute, avec le fait que de nombreux salariés, sommés de s'engager, de se montrer motivés et concernés, exercent un oeil de plus en plus critique sur les conditions de fonctionnement de leurs organisations, sur la difficulté à tenir leur rôle.  Sans doute aussi une plus grande maturité des salariés sur ce sujet.

Francois: A-t-on une idée claire du coût que représente le stress pour la collectivité aujourd'hui ?

Pascale Levet : Un certain nombre d'études, depuis longtemps, approchent le coût direct du stress (santé) et le coût différé (par exemple, l'inefficacité des organisations). Ces études, en France comme à l'étranger, indiquent un ratio de 3 à 5 % du PIB.

lindab: Existe-t-il des domaines d'activité où le stress est plus soutenu qu'ailleurs ? Dans la finance par exemple ?

 

Pascale Levet : Je pense qu'il y a à la fois des secteurs d'activité qui exposent davantage les individus aux facteurs de risques. Certains secteurs sont construits pratiquement autour de ces risques. Mais on aurait tort de ne penser qu'à des secteurs emblématiques comme la finance. Certaines situations de travail plus "ordinaires" – aides-soignantes, agents de sécurité, opérateurs, etc. – peuvent représenter des situations de stress extrêmement élevé.

Jean-Michel_Lucas: Le stress n'est-il pas juste un sujet à la mode en période de crise permettant de renflouer les caisses de certaines organisations supposées aidantes ?

Pascale Levet : Il y a différentes façons de répondre au problème du stress. Entre autres, à travers des offres de services aux salariés stressés tels que la relaxation, le soutien psychologique, le développement personnel, etc.
Si ces offres de services sont utiles, leur développement médiatisé peut générer une attention suspecte sur la qualité et le professionnalisme de leurs réponses. Il y a bel et bien un marché du stress. En revanche, moins connues, les offres de services orientées vers la prévention en amont se développent en dehors de l'attention médiatique et mériteraient probablement d'être mieux valorisées.

Francois: Pensez-vous que le stress au travail puisse être reconnu un jour comme maladie professionnelle ?

Pascale Levet : Ce n'est pas une question sur laquelle nous pouvons aujourd'hui apporter une réponse. Ce sont les partenaires sociaux, les représentants des entreprises et des salariés, qui, avec l'aide d'experts – et le ministère du travail a mandaté un certain nombre de groupes d'experts sur ces questions – qui peuvent apporter des réponses à ce sujet.

nils_1: Un accord a été conclu entre les partenaires sociaux sur le stress au travail. En quoi consiste-t-il, et est-il réellement mis en pratique ?

Pascale Levet : C'est un accord dont les partenaires sociaux sont plutôt très satisfaits, car d'une part, il a réuni l'ensemble des partenaires, qui ont tous signé, en France et en Europe. Et d'autre part, il a marqué de manière très claire la sortie d'une période de déni au cours de laquelle le stress était vu comme révélateur de l'insuffisance des individus à faire face aux exigences du travail. Nous n'en sommes donc plus là. Cet accord présente un autre intérêt : des entreprises lui emboîtent le pas pour négocier sur les conditions de travail et limiter les facteurs de risques en matière de stress.

ours: Le stress au travail peut-il être lié au harcèlement moral ?

Pascale Levet : Oui, bien sûr. Mais l'accord prévoit clairement que le stress et le harcèlement moral sont des questions différentes. Le harcèlement dispose d'un cadre juridique ad hoc qui n'est pas celui du stress.

cerrumios : Il y a quelques années, les maladies dues aux conditions de travail (mal de dos, problèmes oculaires, auditifs, ...) n'étaient pas reconnues comme l'est aujourd'hui le stress. Maintenant, on voit émerger de nouveaux emplois comme les ingénieurs ergonomes. Quels seront les futurs métiers au sein de l'entreprise pour pallier au stress? Psychologues, masseurs, ... ?


Pascale Levet : Il y a plusieurs choses. On a évoqué tout à l'heure le fait qu'on devait intervenir sur les causes, et aussi, bien sûr, traiter les symptômes. Les professionnels que vous citez, quand ils sont de bons professionnels, agissent avec efficacité sur les symptômes. En revanche, il faut aussi mettre en visibilité les enjeux et les professionnels concernés par l'action sur les causes. Cela se joue à de nombreux niveaux dans l'organisation, et en particulier au niveau des fonctions de direction. Ce ne sont donc pas forcément des nouveaux métiers. Mais une nouvelle façon de penser l'efficacité humaine, sociale et économique de l'entreprise.

Caedes: Vous évoquez la prévention du stress. Pouvez-vous nous donner quelques exemples ainsi que votre avis sur son efficacité ?

Pascale Levet : Un certain nombre de dispositifs qui encouragent les collectifs de travail à porter un regard réflexif sur la façon dont ils fonctionnent, sur les stratégies qu'ils déploient, parfois inconsciemment, pour faire face aux difficultés de leur travail, sont des espaces de régulation qui peuvent être très pertinents. Autre exemple : dans des environnements très mobilisateurs – par exemple l'hôtellerie-restauration –, pouvoir doter les équipes d'un espace de "feed-back" après le coup de feu, espace dans lequel un regard critique mais serein peut être porté, un espace dans lequel la reconnaissance peut être formulée, là encore, on a un dispositif pertinent pour réguler les facteurs de stress.

cerrumios : Faut-il dans ce cas une meilleure formation des dirigeants afin de gérer au mieux le stress ? Va-t-on voir fleurir des "cours pour gérer le stress au sein de son entreprise" ?


Pascale Levet : Si l'on part du principe qu'il n'y a pas de "bon stress", l'enjeu pour les dirigeants n'est pas d'apprendre à gérer le stress, mais d'apprendre à réguler les facteurs qui génèrent du stress. Quand, dans une entreprise, un dirigeant ou un groupe de dirigeants laissent durablement rappeler dix ou quinze objectifs prioritaires, mais parfois contradictoires, ils injectent de fait du stress et de l'inefficacité dans l'organisation. Leur rôle est bien de travailler sur la cohérence des objectifs et de leur déploiement au plus près des situations de travail.

ours : comment faire prendre conscience aux chefs d'entreprise et DRH du problème ?

Pascale Levet : Je pense qu'aujourd'hui de très nombreux DRH et de nombreux chefs d'entreprise ont conscience du problème du stress. En revanche, ils peuvent manquer encore de grilles d'analyses pertinentes pour distinguer les causes et les effets. Le risque serait pour les DRH et les dirigeants de rester surfocalisés sur les symptômes et d'en oublier les causes organisationnelles.

Tessa: Je souffre énormément des conditions de travail de l'entreprise dans laquelle je travaille, au point d'envisager de changer de métier car les lois ne protègent en rien le salarié face à la manipulation, l'hypocrisie permanente d'un supérieur ou des collègues de travail et cette envie folle d'aller toujours plus vite pour la rentabilité de l'entreprise. Les horaires de travail deviennent invivables et la vie personnelle est directement impactée. Pensez-vous que si les lois étaient plus fortes de tels comportements inacceptables ne se produiraient pas ?


Pascale Levet : On sait bien qu'aujourd'hui, dans un certain nombre d'entreprises, les compromis sociaux sont très coûteux pour les individus, mais aussi pour la performance de l'entreprise. L'amélioration du dialogue social, le développement des compétences des équipes dirigeantes comme des salariés, représentent l'issue pour sortir de ces conditions de travail dégradées.

cerrumios : Le stress au travail a toujours existé mais n'est-il pas devenu plus important à cause du stress quotidien (problèmes familiaux, d'avenir personnel, chômage, craintes pour ses enfants...) qui n'existait pas, ou moins, il y a quelques années ?


Pascale Levet : Chaque stress est contemporain de son époque. C'est difficile de juger aujourd'hui le stress d'il y a vingt ans. On était dans des conditions dans lesquelles l'assignation des individus à un travail posté, éventuellement très stressant du point de vue de l'avenir, du développement de soi, mais au prix d'une forme de sécurité de l'emploi par exemple, peut nous sembler aujourd'hui moins réelle, moins légitime, moins forte que le stress ressenti aujourd'hui. Dans cette question, il y a aussi ce qui se joue désormais autour de l'articulation des temps et de l'aspiration et du besoin dans nos sociétés de réussir plusieurs vies à la fois : sa vie personnelle et sa vie professionnelle, alors même que l'incertitude est assez radicale.

cerrumios : Avez-vous constaté une relation entre le "mauvais stress" et le manque de considération de l'employé par l'employeur ? Il est récurrent de voir un dirigeant critiquer et oublier d'aborder les points positifs ?


Pascale Levet : La question de la reconnaissance est effectivement centrale pour ce qui concerne les risques psychosociaux et le stress en particulier. Et à ce titre, la qualité des échanges interpersonnels à propos du travail (échanges qui peuvent être critiques) est un élément important de régulation.

carticy: Est-ce que le stress est reconnu aujourd'hui comme cause racine ou facteur déclenchant de certaines maladies neurologiques telle que la sclérose en plaques, et y a-t-il une prévention sur cette effet du stress ?

Pascale Levet : On ne peut pas répondre là-dessus. Ce qu'on sait, c'est que les études épidémiologiques s'efforcent de caractériser les liens entre le stress et la survenue de maladies.

kikijuro: Qu'entendez-vous par risques psychosociaux ?


Pascale Levet : L'idée, c'est que dans nos situations de travail, nous pouvons être exposés soit à des dangers soit à des risques, donc à des situations potentiellement mais éventuellement à effet différé porteuses d'atteinte à la santé, à la capacité à se développer, etc. Quand on parle de risques psychosociaux, on fait référence à un langage d'experts préventeurs, et on montre que quand bien même dans une situation on ne repère pas de danger, elle n'est pourtant pas dépourvue de risques. Mais dans le langage courant aujourd'hui, effectivement, on dit risques psychosociaux, ou RPS, pour dire stress, bien souvent.

cerrumios : Avez-vous constaté une relation entre le stress subi au travail et la dégradation de la vie personnelle (augmentation du divorce, séparation, fortes irascibilités) ? Généralement, le "défouloir" reste la vie personnelle et donc son conjoint et/ou enfants.

Pascale Levet : Encore une fois, les études montrent que nous ne sommes pas des coupables en pièces distinctes et que les liens entre vie personnelle et vie professionnelle fonctionnent dans les deux sens. Donc effectivement, des situations professionnelles très dégradées génèrent en moyenne des impacts négatifs sur la sphère personnelle.

Paul : Pensez-vous que l'objectif de mise en place d'indicateurs de stress comme cela est prévu, soit suffisant pour que des actions concrètes soient conduites dans les entreprises. Est-ce qu'on ne souffre pas de la multiplication d'indicateurs dans la mesure où ils n'obligent en rien à agir ?

Pascale Levet : Encore une fois, le risque, c'est de ne pas faire la part des choses entre "sortir" du déni – et un indicateur permet de rester vigilant – et rester surfocalisé sur cet indicateur, qui n'est jamais qu'un reflet du symptôme, sans comprendre ce qui se joue en amont.

Jean-Michel_Lucas: Le concept de stress existe-t-il en droit à ce jour ? Si oui, dans quel droit ?

Pascale Levet : La notion de stress n'est pas repérée par le droit du travail.

Cerrumios : Connaissez-vous un exemple quel qu'il soit (entreprise, Etat, institution, ...) qui peut être porteur ?

Pascale Levet : L'intérêt de cette question, c'est de montrer que les réponses ne peuvent pas être univoques. Selon la culture, mais aussi les modèles économiques d'organisation, les réponses dans le nucléaire ne vont pas être de la même nature que dans la restauration collective. S'il nous fallait trouver de bonnes pratiques, il faudrait tout de suite les situer relativement à un environnement qui les rend pertinentes mais peu transférables. Et les entreprises globalisées qui s'intéressent à cette question sont confrontées à cette difficulté de la contingence des réponses et développent des dispositifs qui peuvent être très différents d'une culture à l'autre. Le "well being" aux Etats-Unis n'est pas le bien-être en France.

toons : A partir de quand peut-on considérer qu'une personne présente des symptômes de stress grave au travail ? Pour ma part, je fais de l'hyperventilation chaque fois que je suis au travail, et bizarrement je reviens à la normale une fois dehors.

Pascale Levet : Le problème de ces manifestations physiologiques c'est que, très souvent, elles entravent l'efficacité, au moins ressentie, des salariés, et du coup peuvent les faire entrer dans un cercle vicieux dans lequel le symptôme renforce le sentiment d'inefficacité, qui renforce le symptôme. Les médecins du travail sont tout à fait qualifiés pour répondre aux besoins des personnes dans la situation mentionnée ici.

Francois : Comment l'Anact (Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail) peut-elle aider les entreprises à résoudre les problèmes de stress au travail ?


Pascale Levet : L'Anact intervient à plusieurs niveaux et sur l'ensemble du territoire avec le réseau des Aract.
Elle intervient à la fois en s'efforçant de donner à voir et à comprendre les enjeux économiques et sociaux du stress au travail. Par exemple, on anime un club de grandes entreprises qui sont intéressées pour réfléchir ensemble sur les questions les plus difficiles liées à la prévention du stress. L'Anact intervient aussi en accompagnant les partenaires sociaux, par exemple dans le cadre de clubs ou d'actions collectives sur les territoires pour pouvoir expérimenter sur ces sujets. Et par exemple cette semaine, qui est la 6e semaine pour la qualité de vie au travail de l'ensemble du réseau, un point d'attention particulier est porté sur la question du stress, qui a fait l'objet d'un forum national rassemblant treize cents personnes au CNIT jeudi dernier. Et effectivement, l'Anact développe ses réflexions de manière à les rendre plus faciles à partager et à diffuser à travers un certain nombre de publications.
Nous avons un livre qui fait référence sur le sujet : Prévenir les risques psychosociaux. Il y a aussi un site, celui de l'Anact, sur lequel des cas d'entreprises, des monographies, des réflexions, des brèves d'actualité, des vidéos d'experts filmés sur ces sujets sont disponibles pour l'ensemble du grand public et des partenaires sociaux (www.anact.fr).

dtc : Je sort d'une dépression, puis-je contraindre mon employeur à me changer de service dès mon retour ?


Pascale Levet : Toutes ces questions relèvent de la compétence et du périmètre du médecin du travail. Des dispositifs d'inaptitude sont prévus par la loi. Mais celui qui est légitime pour actionner ces dispositifs, c'est le médecin du travail.


Chat modéré par Claire Ané

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