La croissance est-elle Kyoto-compatible ?

Publié le par evergreenstate


 
 


Analyse
La croissance est-elle Kyoto-compatible ?, par Frédéric Lemaître
LE MONDE | 31.03.08 | 14h04  •  Mis à jour le 31.03.08 | 14h04

ix ans après la signature du protocole de Kyoto, voici venu le temps des travaux pratiques. De la création d'un grand ministère de l'environnement en Chine à la supertaxation des véhicules les plus polluants à Londres, les initiatives se multiplient. Avec le Grenelle de l'environnement et la semaine du développement durable (du 1er au 7 avril), la France n'est pas en reste. Un autre signe ne trompe pas : la rencontre annuelle des ministres de l'économie et des finances de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), début juin à Paris, aura pour thème le changement climatique. C'est une première. Plus question pour les grands argentiers de laisser le sujet aux chefs d'Etat et aux ministres de l'environnement.

 

Après des années de polémiques, un relatif consensus s'esquisse. Oui, l'activité humaine est bien à l'origine du réchauffement en cours. Oui, ne rien faire aggraverait la situation. Outre ses conséquences non chiffrables - combien coûte un déplacement de population ? combien vaut un paysage ? - ce réchauffement accru pourrait coûter très cher : 20 % du PIB mondial tout au long du XXIe siècle, selon le rapport remis fin 2006 par Nicholas Stern, ancien économiste de la Banque mondiale, à Tony Blair. Comme disent les diplomates, ne rien faire n'est plus une option.

D'autant que l'homme est en mesure de réparer le mal qu'il a fait. C'est la bonne nouvelle des travaux les plus récents. La stabilisation des émissions de gaz à effet de serre coûterait environ 0,5 % du PIB mondial d'ici à 2030, selon l'OCDE, et 1 % d'ici à 2050, selon le rapport Stern. Plus on s'y prend tôt et plus nombreux sont les pays qui participent à la lutte, moins le coût global est élevé. Les chiffrages de Nicholas Stern, de l'OCDE ou du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) même auréolé de son prix Nobel pour la paix sont contestés. Néanmoins, la lutte contre le réchauffement climatique ne passe pas par une réduction de la croissance. Outre que l'augmentation attendue de la population ne laisse pas vraiment le choix, limiter la croissance ne peut que contribuer à maintenir les pauvres dans leur état actuel. Inacceptable donc, même si l'augmentation du niveau de vie de la population mondiale peut poser problème.

Autre raison pour ne pas céder aux sirènes de la décroissance : ce n'est pas le niveau de la croissance qui compte, c'est son contenu. "A niveau identique, une économie qui reposerait sur le charbon émettrait beaucoup plus de CO2 qu'une économie qui utiliserait la biomasse", fait remarquer Jean-Charles Hourcade, directeur de recherches au CNRS et l'un des économistes français les plus impliqués dans les travaux du GIEC. Mais miser sur les seules technologies pour lutter contre le réchauffement climatique - une option aux yeux de certains Américains pour qui "green is gold" - ne semble pas beaucoup plus réaliste. Technologiquement, on sait dès à présent, ce qu'il convient de faire pour atténuer les émissions de gaz à effet de serre. Favoriser les énergies renouvelables, piéger et stocker le carbone, développer les véhicules électriques et hybrides, améliorer l'isolation des bâtiments... Le GIEC a publié en 2007 la liste des actions à entreprendre.

Cela ne suffira pas. Pour que ces techniques entrent dans nos vies, encore faut-il que nous ayons intérêt à les adopter. D'où l'idée qui s'impose de taxer le carbone. "Les instruments de marché comme les taxes et les permis négociables sont de puissants outils qui permettent d'envoyer aux entreprises et aux ménages des signaux de prix les incitant à adopter des modes de production et de consommation plus durables", résume Romain Duval, économiste à l'OCDE. Dans le meilleur des cas, les chefs d'Etat et de gouvernement pourraient se mettre d'accord, fin 2009, lors de la Conférence de Copenhague, pour une taxe carbone qui verrait le jour en 2013. La négociation s'annonce complexe. "Un accord devrait être à la fois précis, pour être crédible, et flexible, pour prendre en compte les évolutions climatiques, technologiques et économiques qui ne manqueront pas de le remettre en cause dans les décennies qui suivront", résume M. Duval.

 

PRIX MONDIAL DU CARBONE

 

La qualité de l'air étant un bien public mondial, instaurer un prix mondial du carbone paraît logique. Mais les difficultés sont énormes. Outre l'inconnue que constitue l'élection présidentielle américaine, tout laisse à penser que la Chine et l'Inde s'y opposeront. Pour de mauvaises raisons - la situation actuelle résulte de la croissance passée des pays occidentaux - mais aussi pour d'autres bien plus recevables. Non seulement leurs revenus sont inférieurs mais, comme leurs industries sont moins modernes, elles sont énergétiquement moins efficaces. Donc une taxe appliquée de manière uniforme sur toute la planète pèserait beaucoup plus sur les pays pauvres que sur les riches. Des scénarios alternatifs sont d'ores et déjà envisagés, comme une taxe pour les pays riches et des engagements des pays émergents d'imposer des efforts à leurs industriels.

Pour les libéraux, les mécanismes de marché et l'innovation technologique doivent permettre de faire face au changement climatique. Mais cette position ne fait pas l'unanimité. En se fixant des objectifs à atteindre en matière d'énergies renouvelables, l'Union européenne se montre plus directive. En décidant notamment, à l'issue du Grenelle de l'environnement, de geler tout nouveau projet d'infrastructures routières et aéroportuaires, la France s'est également écartée de la philosophie de l'OCDE. Le GIEC, pourtant mis en place par George Bush (père) et Margaret Thatcher, s'écarte aussi de la logique libérale, en insistant sur "les modifications des modes de vie et du comportement qui peuvent contribuer à l'atténuation des changements climatiques". Pour M. Hourcade, "il ne suffira pas de mettre une taxe carbone. Il va falloir réviser nos habitudes, notamment le taux de rotation des biens de consommation et l'extension des villes, qui entraîne des problèmes majeurs de transports. A terme, il faudra repenser nos modes de reconnaissance de la réussite sociale".

Si elle ne remet pas en question la croissance, la lutte contre le réchauffement climatique impose de prendre des décisions politiques rapides qui ne seront pas populaires. Elle nécessite aussi de sortir d'une logique reposant sur une croissance purement quantitative. En confiant aux Prix Nobel Joseph Stiglitz et Amartya Sen une réflexion sur la mise en place d'indicateurs complémentaires à ceux qui mesurent le PIB, Nicolas Sarkozy n'a pas explicitement fait référence aux questions d'environnement. Le lien est pourtant évident et nécessaire.

 


 

Courriel : lemaitre@lemonde.fr.

 


Frédéric Lemaître (Editorialiste)
Article paru dans l'édition du 01.04.08

Publié dans économie

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article